Gérer les jours de repos

Qui veut voyager loin ménage sa monture nous dit l’adage. Ici la monture c’est vous, il faudra donc vous ménager. Sauf si vous êtes là pour repousser les limites du possible et établir un nouveau record de vitesse sur le PCT, vous allez vous arrêter de temps en temps, pendant la journée de marche mais aussi parfois pour une journée entière.

Repos au cours de la journée

Les schémas de marche sont très différents d’une personne à l’autre. Sur le PCT j’ai vu des gens partir très tôt tous les matins, aux alentours de 5h, pour arriver relativement tôt au campement, vers 17h. D’autres préfèrent partir plus tard, entre 7h et 9h, et marcher jusqu’à la tombée de la nuit. D’autres encore partent tard et arrivent tôt, c’est le privilège de ceux qui marchent très vite (ou qui acceptent de faire peu de distance).
Pour la gestion du repos pendant la journée c’est pareil. Certaines personnes marchent à un rythme lent et régulier en faisant quelques pauses courtes réparties sur la journée, d’autres au contraire marchent vite et font une grande sieste, parfois de plusieurs heures.
Ce qui est sûr c’est que, quelle que soit la méthode adoptée, il faudra vous ménager des temps de repos pendant la journée. Si vous avez l’habitude des randonnées longues vous savez peut-être déjà ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien pour vous. Bien sûr un thru-hike met le corps dans un rythme très particulier qui sera nouveau pour vous, mais votre expérience de la randonnée vous donnera une base de départ, et vous ajusterez une fois sur le trail. Il est même possible que vos habitudes changent en cours de route. Vous allez être dans la nature pendant plusieurs mois, les saisons vont passer, les journées vont s’allonger puis raccourcir, et votre rythme biologique va s’en ressentir. Écoutez votre corps, il vous dira ce qui est bon pour lui.

Pour ma part, j’ai testé beaucoup de choses et j’ai finalement trouvé que ce qui était important pour moi c’était de prendre mon temps le matin. Je me lève vers 7h30 et je me donne 1h30 au campement pour émerger, prendre un petit déjeuner copieux, faire mon sac et faire une vraie séance d’échauffement-étirements avant de commencer la marche vers 9h-9h15. Certain(e)s peuvent trouver que c’est une perte de temps (j’ai vu des gens se lever à 6h45 pour partir à 7h pétantes, et déjeuner d’une barre de céréales en marchant) mais en fait ce n’est ni plus ni moins qu’une routine. Elle fonctionne pour moi, ça ne veut pas dire qu’elle fonctionnera pour vous, mais pour moi c’est vraiment bien. C’est ce temps passé le matin au campement qui fait que je pars du bon pied, en forme, de bonne humeur, et qu’ensuite je peux accumuler les heures de marche, lente ou rapide selon le terrain, sans aucun problème. En général je fais une courte pause (10 minutes) vers 11h le temps de manger une barre de céréales et quelques fruits secs. Vers 13h-13h30 je m’arrête environ 1h pour manger et parfois pour faire une micro-sieste, puis je repars jusqu’à 20h environ. Chose importante, à la pause déjeuner je prends le temps de bien étirer les muscles de mes jambes.
Bien sûr tout ça n’est pas figé, j’adapte mes horaires à l’étape du jour à venir (distance à couvrir, dénivelé, difficulté du terrain, obstacles éventuels, envie de prendre mon temps ou au contraire d’avancer vite etc.) mais en gros c’est comme ça que mes journées s’organisent.

Les jours de grosse chaleur

Dans le désert c’est parfois la chaleur qui va dicter vos horaires de marche. Si une journée très chaude est prévue, c’est souvent une bonne idée de marcher très tôt le matin (à partir de 4h, ou même 3h30, bien avant que le jour ne soit levé) pour échapper au soleil, ne pas vous épuiser et ne pas risquer la déshydratation ou le coup de chaud. En milieu de journée, quand la chaleur est la plus forte, trouvez-vous un coin ombragé – certain(e)s marcheur(euse)s montent même leur tente – pour faire une longue sieste réparatrice, et repartez quand le soleil est bas, vers 16h30-17h, pour une marche qui va se prolonger une partie de la soirée.

Certaines personnes décident carrément d’inverser leur rythme biologique dans le désert et marchent exclusivement de nuit, en dormant le jour dans des zones aussi protégées que possible. Il y a des gens pour qui ça fonctionne très bien, et c’est vrai que ça permet de s’affranchir du problème de la chaleur. J’ai essayé mais pour moi ça ne fonctionne pas vraiment.

Jours de repos: Zeros & Neros

De temps en temps, il va falloir casser la routine de la marche et permettre à votre corps de vraiment se reposer. Pour cela il y a ce qu’on appelle les Zeros et les Neros.

Un Zero, c’est un jour où l’on ne marche pas du tout. Pour qu’une journée soit techniquement un vrai zero, il faut passer deux nuits au même endroit, et ne pas faire un seul mile durant la journée qui passe entre ces deux nuits. C’est très reposant pour le corps mais aussi pour l’esprit. Le fait de ne pas avoir à planifier son heure de réveil, lever le camp le matin, dresser le camp le soir, préparer sa nourriture etc. permet vraiment de décompresser. Le plus souvent on prend ses zeros en ville, ce qui fait que ces moments ne sont pas seulement l’occasion de se reposer, mais aussi de se doucher, de faire une lessive, de faire son ravitaillement, d’acheter un peu de matériel si c’est nécessaire. On en profitera aussi pour soigner bobos et blessures légères avant qu’ils ne dégénèrent (si vous décidez de percer vos ampoules c’est le moment ou jamais, quand vos pieds sont le plus propre), et souvent on ira au restau et à la découverte des brasseries artisanales locales, seul(e) ou entre ami(e)s.
Attention néanmoins à ne pas rester trop longtemps en ville: le confort d’un lit douillet dans une chambre d’hôtel et le plaisir de manger au restaurant autre chose que de la nourriture réhydratée sont de puissants aimants, et des arguments très sérieux pour ne pas retourner sur le trail. Quand on s’arrête trop longtemps, il y a un risque réel de ne jamais repartir (en dehors de la première semaine qui voit environ 40% des aspirants thru-hikers abandonner, c’est en majorité après un zero en ville que les gens abandonnent).

Notez que vous n’êtes pas obligé(e) de prendre vos jours de repos en ville. C’est effectivement un bon moyen de coupler le repos avec toutes les autres tâches que j’ai citées plus haut, mais rien n’empêche ceux(celles) qui préfèrent être dans la nature de prendre leurs zeros sur le trail. Les avantages en termes de repos et de cassage de routine sont les mêmes et on peut choisir un endroit magnifique où on a envie de rester. Moi-même j’ai fait ça une fois dans la Sierra. L’ascension de Mt. Whitney ne m’intéressait pas, et j’ai décidé d’échanger le jour que j’aurais dû y consacrer contre un zero au bord d’un lac enchanteur, Chicken Spring Lake. J’y suis arrivé relativement tôt, vers 17h peut-être, et il y avait déjà beaucoup de tentes installées. J’ai monté la mienne sur une jolie plage de sable au bord de l’eau, j’ai lavé mes chaussettes, je suis allé parler à d’autres marcheurs. Puis je me suis installé confortablement face au soleil qui était encore bien au-dessus de la montagne et j’ai lu un livre de Steinbeck que j’avais trouvé dans la hiker box de Kennedy Meadows. Rien ne pressait puisque le lendemain je n’allais pas repartir. J’ai mangé tard en prenant tout mon temps, et le soir dans ma tente j’ai écrit mon journal et une lettre à ma sœur puis j’ai encore lu jusqu’à une heure avancée. Le lendemain c’est le soleil qui m’a réveillé. J’ai pris un solide petit déjeuner, puis j’ai fait le tour du lac, je me suis baigné, j’ai lu… j’ai passé la journée à ne rien faire et à jouir du bonheur d’être face à ce paysage sublime. Tout le monde avait plié sa tente, tout le monde était parti, à 8h du matin il n’y avait plus personne. J’ai passé la journée seul au bord de ce lac merveilleux, le soir vers 16h de nouvelles personnes ont commencé à arriver et à installer leur campement. Je n’ai pas eu besoin de monter ma tente puisque je ne l’avais pas démontée le matin. C’est sans aucun doute l’une des meilleures journées que j’ai eues sur le trail.

Un Nero (near zero) c’est un jour où on marche très peu, de l’ordre de quelques miles. C’est à peu près aussi efficace qu’un zero en termes de repos physique, mais ça n’a pas du tout le même pouvoir de repos mental. En général un nero se déroule de la manière suivante: on arrive en fin de journée à une ville de ravitaillement, on y passe la nuit (au camping, au motel, à l’hôtel, dans une cabine qu’on partage à plusieurs) et le lendemain on le passe en ville un peu comme un zero: on se lève tard, on mange au restau, on fait son ravitaillement, on boit des coups. Mais à la différence du zero on ne reste pas une deuxième nuit, on repart à la fin de cette journée, ne serait-ce que pour quelques miles, de manière à être sur le chemin le lendemain matin et à reprendre sa routine de marche. Ca fonctionne aussi, je sais qu’il y a des gens qui n’aiment pas trop être en ville et qui veulent passer autant de temps que possible sur le chemin. C’est à vous de voir ce qui vous convient le mieux entre zero et nero.

Mon conseil pour vos neros, c’est d’arriver le plus tôt possible à votre étape, vers 15h ou même avant. Ca vous fait une petite journée de marche suivie d’un nero, ce qui est très réparateur, et ça vous permet de profiter de la ville dans laquelle vous vous arrêtez. C’est notamment un bon calcul si vous décidez de dormir à l’hôtel: en général les hikers sont très bien reçu(e)s et, à chaque fois qu’ils en ont la possibilité, les gérants vous feront bénéficier d’un early check-in. Ca veut dire que vous pourrez tout de suite vous doucher, déballer tout votre matériel dans votre chambre, jeter vos poubelles, soigner vos bobos, aller faire vos courses etc. et qu’il vous restera encore du temps pour aller tranquillement au restaurant. Le lendemain, si vous avez fait votre ravitaillement en arrivant, vous pourrez vraiment vous relaxer avant de repartir.

A quelle fréquence s'arrêter?

Cela dépend vraiment de vous, de votre forme physique et du temps que vous vous êtes accordé pour faire le PCT. Cela dépendra aussi beaucoup de votre appétit à socialiser, à passer du temps en ville à rencontrer des locaux, à aller au restau en groupe avec des gens que vous aurez rencontrés sur le trail ou en dehors, ou au contraire de votre volonté de passer autant de temps que possible sur le trail, en pleine nature.

Un zero tous les 20 jours de marche avec des respirations sous forme de neros entre les zeros est un rythme qui a assez bien fonctionné pour moi. Mais ne planifiez pas ça de manière trop rigide: votre corps vous dira sur place ce dont il a besoin, et ce sont aussi les rencontres et les opportunités qui rythmeront votre progression sur le chemin. Prévoyez simplement du temps pour vous reposer et pour profiter des villes que vous traverserez ainsi que des gens que vous rencontrerez. Ca fait partie intégrante de l’expérience!

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