Commencez lentement!
C’est un conseil qu’on lit partout mais que peu de thru-hikers décident de suivre. Et pourtant c’est absolument indispensable. Le PCT est une course de fond. Vous allez marcher 8 à 12 heures par jour pendant 5 mois avec un sac sur le dos, et le corps humain n’est pas fait pour ça. Il faut donc l’habituer. Près de 50% des abandons arrivent dans la première semaine de marche, soit à cause du découragement soit… sur blessure! Ménagez votre monture, elle vous le rendra… et ici la monture, c’est vous.
Sur cette page je vais vous raconter ce qui m’est arrivé, un peu sous forme d’histoire, en vous parlant de mon expérience personnelle, pour que vous voyiez comment ça se passe…
Petite chronique d'une catastrophe annoncée
J’ai planifié mon PCT depuis mon bureau, à Paris, dans les tout premiers mois de 2018. J’avais lu tous les livres et tous les blogs à lire, et j’avais bien retenu le conseil qu’absolument TOUS les thru-hikers expérimenté(e)s donnent aux débutant(e)s: « commencez lentement ». Pour la première semaine, j’avais donc prévu de marcher environ 10 miles par jour les deux premiers jours puis de monter en puissance progressivement jusqu’à atteindre un rythme de croisière d’environ 20 miles en début de deuxième semaine.
En théorie, j’avais tout juste.
Seulement voila, à San Diego j’ai rencontré des gens supers, on a fait nos derniers préparatifs ensemble, on a parlé de nos rêves et de nos peurs, on a joué de la musique le soir chez Scout & Frodo, le hasard du calendrier a fait qu’on a pris le départ le même jour, et bien sûr on a décidé de marcher ensemble.
Quand on quitte Campo, le sentier est presque parfaitement plat sur les 15 premiers miles environ, ce qui rend la marche très facile, beaucoup plus facile que ce qu’on aurait cru. En plus on est plein(e) d’entrain, on est enfin là, on veut vivre l’aventure pour laquelle on s’est tant préparé(e), et on a un corps frais et dispos, prêt à en découdre. Et surtout il y a ces amis qu’on s’est fait à San Diego…
Alors quand à 13h, quelques instants seulement après avoir repris la marche qu’on avait interrompue pour la pause déjeuner, on arrive au point où il est prévu de camper dans le planning… qu’est-ce qu’on fait à votre avis? On dit à ses nouveaux amis « ravi de vous avoir connus, je vous laisse partir devant, moi je vais planter ma tente et passer l’après-midi tout seul ici à attendre que le soleil se couche, et demain je ferai la même chose, et après demain pareil, et le jour d’après encore »…? Ça demanderait une sacré force de caractère de faire ça, pour se tenir à ce qu’on avait dit.
Moi cette force de caractère je ne l’ai pas eue. Je me suis empressé d’oublier tous les conseils que j’avais lus, le joli planning que j’avais fait, les bonnes résolutions que j’avais prises, et j’ai continué la marche pour ne pas quitter ces gens avec qui j’avais tellement envie de passer plus de temps.
Pour notre premier jour sur le PCT nous avons donc marché 17.8 miles, pas loin du double de ce que j’avais prévu à Paris, depuis mon bureau. Puis 18.2 miles le deuxième jour, avant d’enchainer sur 20 miles le troisième. Le quatrième jour nous nous sommes (à peine) calmés, avec 15.5 miles parcourus. Arrêt à Julian le matin du cinquième jour pour un ravitaillement et un bon burger. L’après-midi nous voulons « rattraper le temps perdu » alors nous marchons 10.9 miles en 4h30… sans l’arrêt à Julian, ça aurait encore été une journée de 20 miles. Le sixième jour, nous ne faiblissons pas: 18 miles couverts malgré une énorme pause de 11h30 à 17h pour laisser passer la chaleur écrasante. Quand nous arrivons à Barrel Spring ce soir là, je trempe longuement mes deux genoux dans l’eau glacée d’un abreuvoir. Mes deux genoux qui me font mal depuis plusieurs jours déjà, mais dont je n’ai pas écouté les signaux…
Le septième jour… le septième jour est un enfer. Impossible de plier les jambes, poser les pieds par terre provoque une douleur atroce dans mes genoux, qui irradie le long de la cuisse d’un côté, et jusque dans la fesse de l’autre. Je marche tel un pantin désarticulé, les jambes raides, les hanches partant de droite et de gauche au rythme de mes pas maladroits dont chacun me coûte une énergie et une volonté qui me paraissent surhumaines, surtout avec ce sac à dos qui aujourd’hui semble peser une tonne. 8 miles nous séparent de Warner Springs où une halte est prévue avec douche, lessive et repas au restaurant, et ces 8 miles seront l’une des grandes épreuves de ma vie.
A Warner Springs j’accepte enfin que je dois écouter mon corps et marcher plus lentement que mes amis, que je laisse partir à contrecœur le lendemain de notre arrivée. Un hasard incroyable fait que la bourgade d’à côté compte un chiropracteur, chez lequel me conduit un Trail Angel, et que j’irai voir deux fois en deux jours pour qu’il me remette sur pied. Deux jours de repos total après seulement sept jours de marche: le voila le prix à payer pour avoir démarré trop vite. Et il aurait pu être encore plus élevé: sans ce chiropracteur providentiel (Docteur Brian Denny, soyez béni à tout jamais) je ne serais jamais reparti de Warner Springs.
Ce qu'il faut faire, mais vraiment
L’histoire que je viens de vous raconter est entièrement vraie, je n’ai pas cherché à noircir le tableau pour vous convaincre. Et malheureusement je suis loin d’être un cas isolé: en plus de toutes les histoires que j’ai lues et entendues, j’ai moi-même vu des gens arrêter sur blessure, prématurément et contre leur volonté. Ce sont les genoux qui souffrent dans beaucoup de cas, mais pas seulement: j’ai vu des tendons d’Achille qui lâchaient, des pieds cassés à cause du stress trop important dès la première semaine, des ampoules tellement énormes qu’elles en étaient incapacitantes, des fascias plantaires tellement douloureux qu’ils rendaient la marche strictement impossible…
Pour prévenir cela il n’y a que deux options: arriver ultra-entrainé(e) ou donner le temps à son corps de s’acclimater en démarrant lentement. Comme s’entrainer au niveau requis n’est pas possible pour tout le monde (c’est ce que j’explique sur la page dédiée au sujet), c’est souvent la seconde option qui s’impose naturellement: commencer lentement. Ma recommandation est de monter doucement en puissance selon la progression suivante:
- 10 miles par jour les 2 premiers jours. Moins si vous voulez, mais pas un de plus !
- 12 miles les jours 3 et 4
- 14 miles le jour 5
- 16 miles le jour 6
- 18 miles le jour 7
C’est très peu, surtout les 10 miles des deux premières journées. J’en suis parfaitement conscient puisque moi-même j’en ai fait l’expérience. A ce moment-là il se passera plusieurs choses dans votre tête:
- Vous aurez l’impression de « perdre du temps ». Ce n’est pas le cas. C’est même tout le contraire: vous vous évitez des ennuis ultérieurs qui pourraient vous coûter du temps, et peut-être même vous coûter votre aventure. Bien sûr si vous n’aviez qu’une semaine devant vous pour votre rando, marcher seulement de grosses demi-journées serait une « perte de temps » (quoique même ça c’est discutable). Mais là vous êtes parti(e) pour plusieurs mois! « Gagner » ou « perdre » du temps ne veut donc strictement rien dire, pendant la première semaine pas plus que pendant les suivantes.
- Si comme moi dans l’histoire que je vous ai racontée vous avancez à votre vitesse de marche normale, vous arriverez à votre campement vers midi, 13h au plus tard, et une fois plantée votre tente il vous faudra attendre. Certaines personnes sont très à l’aise avec l’idée de ne rien faire pendant plusieurs heures et de juste regarder le temps passer, mais d’autres le sont beaucoup moins. Si c’est votre cas, ralentissez le pas! Profitez de ces premières journées d’acclimatation pour prendre de longues pauses, pour bien vous étirer, et surtout pour apprécier pleinement la beauté sauvage qu’offre le désert! Vous arriverez plus tard à votre campement et vous n’aurez pas l’impression de « ne rien faire ».
- En marchant à ce rythme-là, des groupes entiers de marcheur(euse)s vous dépasseront. Entre l’envie de socialiser et peut-être la petite pointe d’égo qui fait que vous ne voudrez pas vous laisser distancer, la tentation sera forte d’accélérer le pas pour vous mettre à leur rythme. C’est difficile mais il faudra résister à cette tentation.
- Enfin peut-être que, comme moi, vous aurez rencontré des gens supers avec qui vous aurez envie de continuer à marcher mais qui eux-même ne s’arrêteront pas aussi tôt que vous, ce qui veut dire qu’il faudra vous en séparer.
- Toutes ces questions vous paraitront triviales parce que vous ne ressentirez ni difficulté ni douleur dans votre corps. Et assez logiquement vous vous direz « pourquoi arrêter si tôt alors que tout se passe très bien? »
Mais je le répète: ménager son corps au début c’est capital pour la suite.
Pour tenir ce rythme très lent malgré tous les obstacles psychologiques que je viens d’énumérer, il faut avoir deux choses bien en tête:
- La facilité des premiers jours est trompeuse
Comme je vous l’ai dit, les premiers paysages sont très plats dans le désert, ce qui rend la marche étonnamment facile. D’autre part le corps, s’il n’est pas encore aguerri, n’est pas non plus usé par la répétition des jours de marche. En d’autres termes on se sent en grande forme. La combinaison de ces deux facteurs fait qu’on a tendance à avancer au rythme d’une promenade dominicale. Mais cette fausse impression de facilité est un piège: même si vous ne vous blessez pas dans les premières journées, même si vous ne sentez pas de courbatures, le stress auquel vous soumettez votre corps en démarrant trop vite prépare le terrain pour des blessures qui apparaitront très rapidement, et qui seront d’autant plus difficile à soigner que vous le ferez tard. - Vous reverrez les mêmes personnes souvent…
… même si elles ont pris de l’avance sur vous (et vice-versa).
Le PCT est une transhumance où tout le monde va à peu près au même rythme. En général on marche dans une bulle, une sorte de peloton, dans laquelle on voit au quotidien un certain nombre de personnes. Et puis certains jours on veut abattre de la distance alors on marche fort, d’autres jours au contraire on a envie de prendre son temps et on ralentit la cadence, parfois on s’accorde une demi-journée sur le chemin, comme ça, dans un endroit qu’on aime bien, parfois on aime une ville et on reste deux jours alors qu’on avait prévu d’y passer seulement une soirée, parfois ce sont les bobos ou les blessures qui obligent à ralentir l’allure… et ces changements de cadence font qu’on passe d’une bulle à une autre. On y rencontre des nouvelles têtes, et souvent aussi on y retrouve des ami(e)s qu’on pensait avoir perdu de vue.
Donc ne vous inquiétez pas pour ces amitiés fortes que vous liez au tout début du chemin: vous reverrez les gens que vous avez envie de revoir.
Et ensuite?
A partir de la deuxième semaine votre corps sera acclimaté et vous pourrez vous caler sur votre rythme de croisière. Si vous marchez une moyenne de 18-19 miles par jour dans le désert c’est très bien. Cette cadence suffirait largement pour terminer le PCT dans les temps, mais plus le temps passera et plus votre corps sera aguerri, ce qui vous permettra d’accélérer encore par la suite.
Dans la Haute Sierra le rythme sera forcément un peu plus lent vu les dénivelés quotidiens et les passages de cols, mais vous serez surpris(e) de constater en arrivant en Californie du Nord que votre corps s’est transformé en véritable machine à marcher: les miles défileront sans que vous vous en rendiez compte et, à ce stade, c’est plutôt le plaisir que vous prenez à marcher plus ou moins vite qui dictera votre cadence.
Une fois en Oregon, vous couvrirez 30 miles ou plus par jour sans la moindre difficulté (et je ne parle même pas ici des extra-terrestres qui profitent de cette section complètement plate pour marcher 55-60 miles par jour).